Quand les défenseurs de la loi de 2004 se tirent une balle dans le pied.
La Libre Pensée est indépendante de tout parti. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne prête aucune attention à leurs prises de position. La présidente du groupe NUPES à l'Assemblée nationale a critiqué la Une du journal Le Parisien daté de juin dernier ; elle mettait en avant le port de l'abaya, au nom de la loi de 2004 qui dispose : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »
Ressort aujourd'hui dans les revues de presse numériques la colère du philosophe-journaliste Raphaël Enthoven, qui déclarait que Mathilde Panot, ni plus ni moins, menaçait la vie des journalistes du quotidien, en référence à l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo. Rien que ça ! Modeste contribution de ce plumitif[1] à la campagne des européennes ? Sa prise de position était encensée par le magazine Causeur. Monsieur Enthoven est en bonne compagnie !
La loi de 2004, fausse loi « laïque » de plus en plus contestée, est surtout utile contre la laïcité telle que l'ont voulu ses promoteurs, de Jules Ferry à Aristide Briand ou Jean Jaurès. Rien d'étonnant à ce qu'elle soit défendue par la droite politique, y compris la plus extrême et raciste. Mais de plus en plus de voix s'élèvent pour la dénoncer.
Dans Le Monde des Idées du 17 avril, Jean-Fabien Spitz, professeur émérite de philosophie politique à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, publie une tribune sous le titre « L’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école contredit la laïcité ».
Et nous pouvons apprécier ce qu'il déclare dans cette tribune, notamment : « l’État est neutre pour que les individus puissent ne pas l’être, pour qu’ils puissent manifester leur différence en matière religieuse. Lorsque les individus sont ainsi neutralisés, c’est-à-dire lorsqu’il leur est interdit de manifester leurs croyances, l’État a, par définition, cessé d’être neutre, car être neutre signifie adopter une attitude impartiale entre des partis différents. »
Et Jean-Fabien Spitz poursuit « Assez de mensonges sur la laïcité »
« (…) il faut rappeler trois vérités. La première est que le prosélytisme est une composante légitime de la croyance religieuse. Tenter de convertir autrui aux croyances que l’on suppose posséder un caractère salvateur fait partie de la liberté de conscience.
La deuxième est que l’école ne peut pas être un sanctuaire tenu à l’abri de la diversité qui existe dans la société. Au contraire, c’est là que l’œuvre de socialisation doit apprendre aux enfants et aux adolescents qu’il existe dans la société des gens qui ont des croyances différentes des leurs, et c’est en apprenant ces différences qu’ils pourront les accepter comme faisant partie de la vie sociale ordinaire. Aujourd’hui, si l’école est le sanctuaire de quelque chose, c’est de la ségrégation sociale, et les gouvernants seraient bien inspirés de s’en préoccuper, au lieu de faire la chasse aux foulards et aux jupes longues.
Et enfin : les responsables politiques qui ne cessent de jeter de l’huile sur le feu devraient comprendre que cette discrimination par le vêtement, dont de nombreux témoignages attestent qu’elle se traduit par des brimades, par des humiliations, par des accusations sans preuve d’entrisme intégriste et par des abandons d’études, produit les effets inverses de ceux que l’on prétend rechercher. »
Tout cela ouvre un champ de débats indispensables.
[1] Avec Caroline Fourest, il fonde le journal Franc Tireur en 2021